inferno.com by Gian Mario Villalta

Auteur:Gian Mario Villalta [Villalta, Gian Mario]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 2070131440
Google: FKzqDQAAQBAJ
Éditeur: Gallimard
Publié: 2017-02-27T23:00:00+00:00

XI

« Samedi matin, je conduisais et j’ai failli me tuer en essayant d’éviter un chaton. Je l’avais aperçu un instant plus tôt, immobile dans l’herbe, au bord de la route. Soudain, il a bougé pour traverser. J’ai eu le temps de décider : l’écraser ou prendre le risque de freiner. Et j’ai choisi de l’écraser : un léger impact, pas même un vrai bruit, peut-être un murmure désagréable, puis tout droit.

« L’espace d’un instant, je pouvais appuyer sur la pédale de frein, mettant ainsi ma vie en danger. J’ai eu le temps de comprendre et de décider. Et j’ai décidé.

« Pourtant, j’ai appuyé sur la pédale. La petite bête était saine et sauve. Ce n’était pas de l’attendrissement ni une question de morale. J’en avais décidé autrement (souligné). J’ai réussi à maintenir la voiture sur la chaussée après avoir fait une embardée au milieu de la route, puis à m’arrêter à quelques centimètres du fossé, du côté opposé. Aucun véhicule ne passait alors. Voilà, c’est ainsi qu’il devrait en être de toutes les choses de la vie, me suis-je dit : au bon moment, piler devrait nous venir instinctivement, un instinct supérieur qui n’a rien à voir avec le premier réflexe, la première réaction, mais qui vient après (souligné) et malgré (souligné) le raisonnement. »

C’est arrivé il y a six jours. Depuis, je me tourmente pour trouver un moyen de relier ces faits à une partie des notes et des commentaires que j’ai conservés dans le but de reprendre le fichier intitulé Bosco, de plus en plus convaincu que je ne dois pas reconstituer la vie complète de Bosco, je ne dois rien reconstituer du tout, mais seulement continuer à écrire jusqu’au moment où je ne pourrai plus ajouter une seule phrase. Au fond, ça aussi, c’est un épisode. Un petit épisode, qui n’a bien sûr rien à voir avec Bosco, mais qui m’a contraint à repenser à ce que j’avais écrit et plus encore à ce qu’il me reste à écrire. Avec pour effet d’accumuler pendant six jours de nouvelles notes et de nouvelles réflexions. Et je n’avais plus de whisky. Dès dimanche soir, je m’étais retrouvé sans une seule goutte de whisky à la maison et je n’avais aucun moyen de sortir, pris comme je l’étais dans un entrelacs de raisonnements qui tournaient autour d’un élément insaisissable.

« Puis, une fois passée la peur provoquée par l’embardée de la voiture, je me suis senti satisfait, comme si j’avais fait quelque chose de bien, mais dans le même temps je sentais que ma satisfaction était hypocrite, car j’en étais sûr, j’avais voulu (souligné) foncer tout droit », ai-je écrit.

Et j’ai aussi écrit ceci : « Me sentir généreux, d’une générosité qui vient d’une région de la conscience plus profonde que ma volonté consciente, me réconcilie avec l’humanité entière. Et pourtant, le fait de ne rien me rappeler sinon la décision de ne pas (souligné deux fois) freiner et de ne garder en mémoire aucun réflexe de freinage, voilà qui me désoriente, bien que je me sois fourni une bonne explication.

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